Fake news politiques sur l’inutilité des masques face au COVID-19

Les masques ne serviraient à rien pour la population générale.

Ils seraient une fausse bonne idée au même titre que les gants selon le journal Sud Ouest. « Je suis surpris de voir par la fenêtre de mon ministère le nombre de personnes qui sont dans la rue avec des masques (…) alors que cela ne correspond pas à des recommandations », regrettait le ministre de la Santé Olivier Véran le 16 mars. « Ne portez pas des masques ! » indiquait le directeur général de la Santé Jérôme Salomon le 17 mars, précisant qu’ils ne sont nécessaires que pour les soignants au contact des malades. C’est à croire qu’ils sont dangereux !

Il s’agit d’une « fake news » évidente à de nombreux égards. Le coronavirus se transmet par les fines gouttelettes émises par le porteur soit directement vers les muqueuses du visage (bouche, nez, yeux) soit par l’intermédiaire de surfaces inertes puis des mains qui touchent le visage. La protection de ces portes d’entrée par un masque efficace sur des particules très fines (de préférence répondant à la norme FFP2 voire FFP3), et par une paire de lunettes de protection ne peut qu’être bénéfique.

C’est d’autant plus évident que cette protection est obligatoire pour le personnel de santé au contact de porteurs du coronavirus. Voudrait-on laisser croire que le virus soudainement doté d’une conscience n’accepterait de contaminer que le personnel de santé ? Il a été constaté qu’un porteur du virus peut être contagieux avant l’apparition de tout symptôme. Et si l’on impose un confinement c’est bien que tout un chacun peut, lors des déplacements permis par le décret du 16 mars, être accidentellement en contact rapproché avec un porteur du virus, qu’il soit asymptomatique ou inconscient.

Les seules raisons données pour justifier ce contresens relèvent de syllogismes.

Il est un fait établi et de bon sens que toute personne présumée infectée par le coronavirus se doit de porter un masque, par exemple chirurgical, pour éviter de projeter le virus dans l’air et de contaminer d’autres personnes. Or les personnes qui veulent se protéger à l’aide d’un masque peuvent sans en être conscientes porter le virus de façon asymptomatique. Le masque permet donc de limiter la contagiosité si son porteur est malade sans le savoir et de limiter les risques d’infection s’il ne l’est pas encore.

Les autorités et la presse associent dans leurs critiques le port d’un masque avec celui de gants. Le port de gants est en effet une mauvaise idée, car des gants souillés continuent de contaminer les personnes, les surfaces, et même soi-même si l’on se touche le visage en les portant. L’utilisation d’une information fallacieuse pour invalider une affirmation qui lui est associée est un grand classique.

Un autre argument utilisé contre la nécessité du port du masque est qu’il n’encourage pas l’application des recommandations tels que la distanciation sociale, le confinement chez soi, le lavage très fréquent des mains, autrement dit il donnerait un « faux sentiment de sécurité ». On ne peut bien sûr écarter cette possibilité, mais ne vaut-il mieux pas informer que désinformer même avec les meilleures intentions du monde ? Imaginerait-on qu’on déconseille le port de la ceinture de sécurité au motif que les conducteurs se sentiraient plus libres de conduire dangereusement ?

À l’évidence, l’argument pseudo-scientifique selon lequel le port d’un masque chirurgical ou FFP2 n’est utile qu’au personnel de santé est motivé par le souhait d’éviter le mécontentement de l’opinion publique face à une pénurie qui aurait pu, et dû, être évitée par les autorités politiques. C’est d’ailleurs bien parce qu’il y a pénurie en France que deux organisations caritatives chinoises ont déclaré le 18 mars envoyer à la France un million de masques.

En 2009, l’État possédait 800 millions de masques FFP2 et un milliard de masques chirurgicaux. Le 3 mars, Olivier Véran admettait qu’il n’y avait plus de stock d’État de masques FFP2, et le 17 mars, qu’il ne restait plus que 110 millions de masques chirurgicaux.

L’EPRUS (Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires) a été créé le 5 mars 2007 sous le ministère de Xavier Bertrand pour rationaliser la gestion des stocks d’État des produits de santé, et son installation officielle a eu lieu le 10 septembre 2007 sous le ministère de Roselyne Bachelot. Cet établissement agit comme un simple exécutant, la décision de constituer et de renouveler les stocks dépendant exclusivement du ministre de la Santé.

En 2009, le stock géré par l’EPRUS est estimé à 537 millions de masques FFP2 auxquels doivent s’ajouter 110 millions en cours de livraison. Par ailleurs certains ministères disposent de stocks propres dans le cadre de leurs plans de continuité à hauteur de 153 millions. 359 de ces 800 millions de masques étant périmés, 400 millions de nouveaux masques sont commandés, malgré les réserves de la commission des finances. Les stocks périmés sont conservés en cas de pénurie si leur efficacité devait être avérée. On peut donc estimer qu’en 2010, sous la tutelle étroite de Roselyne Bachelot, les stocks atteignent un pic de 1,2 milliard de masques FFP2 dont 841 millions n’ayant pas expiré.

Mais, alors que la presse, les politiciens et une partie de l’opinion publique reprochent à Roselyne Bachelot une surpréparation au virus H1N1 de 2009, un premier virage est amorcé. En 2011, alors que la tutelle est revenue à Xavier Bertrand, la valeur totale des stocks stratégiques détenus par l’EPRUS, tous produits de santé confondus, passe de 992 à 761 millions d’euros, soit moins que son niveau au 31 décembre 2007, sans que la répartition exacte ne soit rendue publique. Une « stratégie à adopter concernant le stock État de masques respiratoires » publiée le 1er juillet 2011 préconise la « constitution d’un stock tournant impliquant la libération et la reconstitution régulières d’une partie du stock » et le dimensionnement des stocks selon « les capacités de fabrication et d’approvisionnement pendant une crise ». Xavier Bertrand a déclaré au Figaro qu’il restait à son départ en 2012, 600 millions de masques FFP2. Il y ajoute 800 millions de masques chirurgicaux pour gonfler le chiffre total mais se garde bien de dire que ce chiffre signifie qu’il a autorisé une baisse de stock entre 241 à 600 millions (selon l’inclusion ou non des masques périmés dans son décompte) en deux ans, sur les conseils d’une note interne du 27 juillet 2011 signée par le directeur général de la Santé qui recommandait de ne pas renouveler les stocks en 2012.

Sous le ministère de Marisol Touraine, où elle était conseillée par Jérôme Salomon, Gabriel Attal, Benjamin Griveaux et Olivier Véran — et l’on voit bien que la macronie n’est qu’une nouvelle forme de hollandisme — la valeur totale des stocks stratégiques détenus pas l’EPRUS est passée de 684 millions d’euros en 2012 à 472 millions d’euros en 2014 puis à 416 millions d’euros en mars 2015. Le 16 mai 2013, une nouvelle doctrine est décidée, publiée par le SGDSN (Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale) dépendant du premier ministre Jean-Marc Ayrault, qui dessaisit l’État du renouvellement des stocks pour des raisons budgétaires et transfère cette responsabilité aux employeurs publics et privés, aboutissant logiquement au vidage total des stocks, sans que Marisol Touraine ou plus tard Agnès Buzyn n’usent de leur tutelle exclusive sur l’EPRUS, ou sur l’ANSP (Agence nationale de santé publique) qui le remplace en 2016, pour maintenir un stock de sûreté au niveau de l’État.

Cette incurie est du même acabit que la réduction par Donald Trump du financement des Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC), dans un contexte où le déclenchement imminent d’une pandémie avait déjà été prévu, notamment par Bill Gates début 2018 avec, conséquence d’un monde interconnecté, l’estimation de dizaines de millions de morts. Face à des faits si implacables, le monde politique est sur la défensive et est prêt à mentir pour contenir la colère des peuples et assurer sa survie à l’issue de la crise.

L’épuisement des stocks de masques nécessaires au personnel de santé est réel, et la nécessité de leur laisser la priorité, notamment par la réquisition des stocks détenus par les personnes morales publiques et privées, est tout à fait justifiée. Des vols de masques dans les hôpitaux ont aussi été condamnés à juste titre. Tout ceci n’autorise pas à diffuser des concepts pseudo-scientifiques erronés qui confine — c’est le cas de le dire — au mensonge d’État.

Les personnes privées qui disposent déjà de quelques masques acquis de façon légale avant l’accélération de la crise doivent être au contraire encouragés à les utiliser pour les quelques situations inévitables les mettant le plus au contact d’autres personnes. 1 Il convient de se rappeler l’utilisation très limitée dans le temps, 4 heures en port continu, de ces masques non réutilisables. L’usage généralisé du masque tient lieu de consigne en Chine, en Corée du Sud et à Taïwan, et leur permet de juguler l’expansion de la maladie.

Enfin, le port d’un masque chirurgical, d’un marque textile fait maison ou d’une écharpe autour du nez et de la bouche serait « totalement inutile » comme l’avait affirmé Agnès Buzyn car aucune étude ne prouve leur efficacité tandis que les études garantissent celle des masques FFP2. Là encore il s’agit d’un illogisme.

Le port de tout masque, associé aux recommandations habituelles 2 le lavage de mains extrêmement fréquent, surtout juste avant et juste après avoir touché son visage , permet de limiter les projections et donc la contagiosité potentielle de porteurs asymptomatiques par rapport aux autres. Quant à la fonction de protection, l’absence d’études certifiant l’efficacité de certains masques n’équivaut pas à l’existence d’études certifiant leur inefficacité. S’il est évident que leur niveau de protection ne pourra pas être le même que celui des protections filtrant plus de 90% des micro particules, si tant est qu’ils soient lavés quotidiennement avec les détergents classiques, il est tout aussi évident qu’il vaut mieux les porter que ne rien porter du tout, du moment que l’on respecte strictement les autres consignes, notamment le lavage des mains et la distanciation sociale. C’est la même réflexion que se sont tenus le 18 mars le CHU de Valence qui a lancé un appel à la confection de masques en tissu, et le CHU de Grenoble qui a édité un guide de fabrication de masques en tissu pour leur personnel n’étant pas au contact de malades confirmés.

CQFD.

Notes

Notes
1 Il convient de se rappeler l’utilisation très limitée dans le temps, 4 heures en port continu, de ces masques non réutilisables.
2 le lavage de mains extrêmement fréquent, surtout juste avant et juste après avoir touché son visage
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